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L'expérience de Milgram : sommes-nous tous des monstres ?

Retour sur l'expérience de Stanley Milgram : bouleverser la notion de libre-arbitre


Alors que s'achèvent les commémorations du 75 ème anniversaire du débarquement en Normandie, retour sur une des plus célèbres expériences de psychologie sociale : celle de Stanley Milgram. Voulue pour comprendre la passivité des Allemands devant des ordres abjects, l'expérience de Milgram va bouleverser la notion de libre-arbitre.



Milgram, expérience
L'expérience de Milgram : et nous ? Qu'aurions-nous fait ?

Contexte historique et questionnement


Nous sommes au début des années soixante. L'Amérique jouit des fruits de la victoire sur le Nazisme et, même si la Guerre Froide bat son plein, les Trente Glorieuses commencent à diffuser leurs effluves d'abondance retrouvée. La guerre, si loin, et pourtant si proche, ne cesse de poser question.


Le Nazisme, et, au delà de lui-même, le comportement des Allemands vis-à-vis de certaines minorités et des Juifs, interroge non pas tant sur le « pourquoi ? » - ce sera le travail des historiens - que du « comment ? ». Comment un peuple aussi évolué que le peuple allemand, un peuple qui a donné Kant, Goethe, Wagner et bien d'autres Lumières au monde a-t-il pu commettre l'indicible ? Comment ce peuple, cette nation évoluée, éduquée, a bien pu lancer un tel génocide ? Surtout, au delà de ce questionnement, ce qu'ont fait les Allemands, d'autres peuples auraient-ils pu le faire ?

Nombre de beaux esprits étaient persuadés de la singularité historique des massacres perpétrés par les Allemands. Les Américains – oubliant de fait leur histoire complexe avec les Amérindiens- s'estimaient à l'abri de la barbarie de la Seconde Guerre Mondiale.

L'expérience de Milgram : mesure de l'obéissance à des ordres immoraux


Stanley Milgram est, à l'origine, un chercheur en Science Politique. Pour l'anecdote, l'université d'Harvard refuse son inscription en vue de rédiger une thèse en psychologie sociale au motif qu'il n'a jamais fait de psychologie... Il devra suivre six cours dans cette matière pour avoir l'occasion de s'y inscrire.


Sa fameuse expérience est réalisée entre 1960 et 1963. Il s'agit de mesurer le degré d'obéissance que peut avoir un individu face à un ordre qui contrevient à sa morale. Des volontaires sont recrutés suite à une petite annonce parue dans le journal local. Âgés de 20 à 50 ans, ces femmes et ces hommes sont issus de diverses catégories sociales et l'expérience est suffisamment rémunérée pour être perçue comme une bonne affaire.

Bien entendu, on ne leur dit pas le vrai enjeu : ils pensent participer à une étude scientifique sur l'efficacité de la punition dans les mécanismes de mémorisation.


Déroulement de l'expérience et résultats troublants. Deus Ex Machina


L'expérience a lieu dans les locaux de Yale. Trois personnes y participent. Les volontaires recrutés ( que l'on appellent également parfois les expérimentateurs ) et deux comédiens : l'élève qui va recevoir les décharges et l'enseignant qui, en blouse blanche, représente l'autorité. Il est bon de préciser que les chocs électriques sont fictifs et que l'élève censé recevoir les décharges simulera la douleur.


Les élèves sont auparavant supposément tirés au sort, on leur explique l'expérience et on leur fait subir une décharge « témoin », bien réelle celle là, de 45 volts. Ainsi, ils prennent conscience de la douleur qu'ils sont censés infliger aux expérimentateurs. Ils sont placés dans une pièce, séparée par une cloison de l'élève. Suffisante pour ne pas le voir, mais insuffisante pour ne pas l'entendre. L'enseignant se place aux côtés de l’expérimentateur.

A chaque bonne réponse, tout va bien, rien ne se passe... Cela se corse lorsque l'élève ne se souvient pas correctement des choses à dire : il reçoit une décharge électrique... D'abord minime : 75 volts, mais néanmoins suffisante pour provoquer une douleur. Puis, peu à peu, à chaque erreur, le voltage augmente de 15 volts ( V) . A 120 V il se plaint à l'expérimentateur qu'il a très mal, à 135 V il hurle de douleur, à 150 V il supplie d'être libéré, à 270 V il lance un cri violent, à 300 V il annonce qu'il ne répondra plus. Mais qui ne dit mot consent...


L'expérimentateur précise alors qu'en cas de non réponse, l'expérience va continuer avec des décharges de plus en plus fortes, jusqu'à 450 V, seuil auquel la mort est quasi certaine...

Si, au cours de l'expérience, l'expérimentateur souhaite arrêter, l'enseignant lui demande, quatre fois, et de manière de plus en plus insistante de continuer, si au bout de ces quatre fois, il souhaite encore arrêter, l'expérience est interrompue.

Avant cette expérience, Milgram avait demandé à des psychiatres d'estimer le nombre de personnes capables d'asséner des décharges de 450 V. Les doctes docteurs avaient estimé cette probabilité à 1 pour 1000.

En réalité, 62,5% des sujets ont été capables d'administrer de tels voltages mortels.

Réflexion sur la civilisation et l'autorité


Milgram s'est lui-même inquiété des résultats de cette expérience mainte fois reproduite, toujours avec les mêmes résultats.

Bien entendu, le chercheur fut attaqué sur l'éthique et la déontologie d'une telle expérience, mais les résultats sont là, têtus, inquiétants, troublants. Ainsi, nous pourrions donc tous être des monstres en puissance. Un peu plus tard, une autre expérience, qui se révélera être fausse, nous interrogera également : l'expérience de Stanford.

Cette expérience a eu un retentissement énorme, questionnant notre rapport à la civilisation, à ce qui fait de nous des êtres supposément civilisés.

Laissons à Stanley Milgram le mot de la fin : « … la civilisation est caractérisée, avant tout, par la volonté de ne pas faire souffrir gratuitement nos semblables. Selon les termes de cette définition, ceux d'entre nous qui se soumettent aveuglément aux exigences de l'autorité ne peuvent prétendre au statut d'hommes civilisés. »

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