Hypnose et contrôle : qui tient vraiment les rênes ?
- Bernard Mananes
- 24 sept.
- 8 min de lecture
Si l’hypnose avait un ennemi, ce serait l’image d’Épinal du magicien qui claque des doigts et transforme n’importe qui en marionnette. Spoiler : ça n’a rien à voir avec l’hypnose thérapeutique. En cabinet, on n’endort personne ; on éveille des ressources. On ne « prend » pas le contrôle ; on le redonne. Tour d'horizon de quelques idées reçues !

Qu’est-ce que l’état hypnotique, concrètement ?
Un état naturel de conscience modifiée
L’état hypnotique est un état de conscience dans lequel l’attention se focalise et la perception périphérique diminue. Imagine un zoom mental : on entre dans une bulle où les mots, les images, les sensations prennent plus de relief. Ce n’est pas du sommeil, ni une transe exotique : c’est un phénomène courant, proche de la rêverie ou de la « conduite automatique » sur un trajet familier.
Pour le décrire, on peut se référer à l’American Psychological Association (APA), la plus grande organisation mondiale de psychologues. Sa Division 30, aussi appelée Society of Psychological Hypnosis, a publié en 2015 une définition claire de l’hypnose : un état de conscience caractérisé par l’attention focalisée et une réponse accrue aux suggestions. Cette définition fait autorité et permet de sortir des clichés liés à l’hypnose de spectacle.
Hypnose ≠ perte de contrôle
Les autorités médicales publiques insistent : on n’y perd pas le contrôle. Le NHS, tout comme l'Inserm expliquent noir sur blanc que le patient reste maître de lui ; on est plus ouvert aux suggestions, mais pas « possédé ». Si quelque chose déplaît, on refuse ; si on veut ouvrir les yeux, on ouvre. Fin du mythe.
Hypnose de spectacle vs hypnose thérapeutique : pas le même contrat
Le but et le cadre changent tout
Sur scène, l’objectif est de divertir. Il y a un casting implicite : on ne fait monter que les personnes très volontaires et très suggestibles, prêtes à « jouer le jeu ». En cabinet, on signe un contrat thérapeutique, on travaille une demande, on sécurise le cadre, on vise des changements écologiques (adaptés à la vie du client). Même outil, intentions et méthodes différentes. (Pour les puristes : les phénomènes d’hypnose existent dans les deux cas, mais on ne s’en sert pas pareil.)
Qui tient les rênes ?
Sur scène : le public « remet » les clefs du camion pour s’amuser. En thérapie : le client garde les clefs et le praticien agit comme un GPS qui peut indiquer le sud, le nord l'est ou l'ouest, mais c'est le client qui garde le volant — l’imaginaire, les émotions, les automatismes. Le thérapeute propose des chemins dont le client peut disposer.
Hypnose thérapeutique : qui contrôle quoi ?
Le rôle actif du client
L’hypnose n’est pas quelque chose qui t’arrive ; c’est quelque chose que tu fais. Tu participes : tu suis des suggestions, tu donnes un feedback, tu ajustes. Paradoxalement, cette participation augmente ta sensation de contrôle, parce que tu redeviens acteur de tes réponses automatiques (craving, phobie, rumination, etc.).
Le rôle du praticien
Un hypnothérapeute sérieux ne manipule pas : il facilite. Il met en place une alliance thérapeutique claire, explique, obtient ton consentement, vérifie en continu ton confort. Il ne « programme » pas ton cerveau ; il oriente ton attention, t’aide à réécrire des associations. (Si tu n’adhères pas, ça ne prend pas. C’est aussi simple — et rassurant — que ça.)
Suggestibilité : et si « je ne suis pas réceptif » ?
Tout le monde n’a pas le même profil de suggestibilité, mais la plupart des gens peuvent entrer dans un état hypnotique utile. La clef, c’est l’ajustement : on adapte le guidage (plus sensoriel, plus métaphorique, plus cognitif) pour que ton cerveau dise « oui ». Et même quand la suggestibilité est moyenne, on peut faire un excellent travail sur la respiration, l’ancrage, la réévaluation des pensées, la désensibilisation progresse.
Ce que dit la science : sécurité, usages, limites
Les définitions et la base scientifique
Depuis 2015, la Division 30 de l’APA a publié une définition révisée de l’hypnose pour éclaircir le cadre scientifique. Les synthèses cliniques récentes décrivent une thérapie non pharmacologique avec des fondements neurobiologiques et des indications documentées (douleur, anxiété, soins per-opératoires). PubMed+1
Douleur : un pilier solide
C’est l’un des domaines les mieux établis. La méta-analyse classique de Montgomery et al. (2000) montrait déjà un effet modéré à fort de l’hypnose sur la douleur expérimentale et clinique ; d’autres revues plus récentes confirment la pertinence en adjuvant. En pratique hospitalière, les patients sous hypnose adjointes ont de meilleurs résultats que la plupart des témoins dans les études per-opératoires. PubMed+2PubMed+2
Anxiété, stress et phobies : reconditionner la réponse
La littérature (guides cliniques, ressources de collèges professionnels) décrit l’hypnose comme un levier d’attention et de réévaluation des menaces perçues : en focalisant sur la sécurité et la compétence, on désactive l’alarme, on désensibilise le souvenir ou le stimulus phobique, on reconditionne la réponse. Les organismes professionnels britanniques donnent des exemples parlants (peur des chiens ➜ réassurance, reprise de sorties). www.rcpsych.ac.uk
En France : hôpitaux et anesthésie
Côté hexagone, l’Inserm publiait en 2015 une expertise collective sur l’efficacité de la pratique ; des travaux décrivent une diffusion large en CHU (hypnoanalgésie, hypnosédation) et une reconnaissance croissante en anesthésie (usage adjuvant, parfois pour remplacer une anesthésie générale sur des gestes ciblés avec anesthésie locale). Ce n’est pas une lubie new age : l’hôpital l’emploie quand c’est pertinent. Inserm+2PubMed+2
Pourquoi l’illusion de « perte de contrôle » persiste
La mise en scène du spectacle
Sur scène, tout est fait pour donner l’illusion d’un pouvoir absolu : sélection des plus réactifs, scripts rapides, rires du public. Le message implicite : « il obéit ». En réalité, le volontaire collabore. Il accepte parce que le cadre (divertissement, groupe, projecteurs) autorise ces comportements.
Les biais cognitifs
Notre cerveau survalorise les moments « magiques » et oublie le processus. On retient le « clap » final, pas les micro-adhésions qui ont précédé. En thérapie, on fait l’inverse : on découpe le changement, on le rationalise et on l’installe durablement.
Ce qui se passe vraiment dans une séance (et qui tient les rênes)
Avant : clarifier, sécuriser, définir la cible
On commence par évaluer la demande (tabac, poids, anxiété, phobie, sommeil, douleur, performance), convenir d’un objectif concret, poser le cadre éthique. Tu sais ce qu’on va faire, pourquoi, et tu valides.
Pendant : guidage, feedback, ajustements
Le praticien guide l’attention (respiration, ancrage sensoriel, imagerie), propose des suggestions sur mesure, écoute tes retours. Tu peux parler, ouvrir les yeux, bouger. On utilise l’état hypnotique pour expérimenter autre chose — une sensation de calme, une distance avec une envie, une image de soi plus juste — puis on ancre.
Après : consolidation et autonomie
On sort de séance avec une expérience et des outils (autosuggestions, routine 90 secondes, scénario d’exposition graduée, audio d’auto-hypnose). L’idée n’est pas de te rendre dépendant du praticien, mais autonome.
Applications concrètes : reprendre le volant
Addictions et compulsions (tabac, sucre, écrans…)
Objectif : décrocher le réflexe plaisir/urgence. En hypnose, on recode les déclencheurs, on fait grandir la motivation identitaire (« je suis un non-fumeur ») et on prépare l’après (mains, bouche, rituels). On y ajoute du comportemental (substituts, plan anti-craving, environnement). Pour le tabac l’hypnose peut aider, mais est encore plus efficace dans un programme combiné. Cochrane+1
Gestion du poids et relation à la nourriture
On désamorce les pulsions (stress, ennui, auto-consolation) en changeant les scripts internes : « je respire ➜ je choisis », au lieu de « je stresse ➜ je mange ». On travaille l’image de soi, la satiété, le goût du mouvement, et l’environnement (courses, cuisine, rythme). Ici encore, hypnose + hygiène de vie = victoire durable.
Phobies et anxiété anticipatoire
L’hypnose fournit un théâtre intérieur pour désensibiliser en douceur. On rejoue la scène (avion, chien, examen, IRM), mais avec des réponses différentes : respiration, distance, humour, ressource. Les organismes professionnels expliquent comment la redirection de l’attention réduit la panique et permet de réouvrir des comportements (sortir de chez soi, reprendre l’ascenseur). www.rcpsych.ac.uk
Douleurs chroniques et aiguës
On module la perception (intensité, localisation, signification), on reconstruit un contrôle sur le corps. Les méta-analyses montrent des bénéfices cliniques significatifs, et la pratique hospitalière (anesthésie/hypnoanalgésie) illustre la sécurité du procédé. PubMed+2PubMed+2
Limites, précautions et hygiène éthique
Ce que l’hypnose ne fait pas
Elle ne remplace pas une prise en charge médicale nécessaire, ne guérit pas une maladie organique, ne répare pas en un clin d’œil des traumatismes complexes sans protocole sérieux. Elle n’efface pas un souvenir ; elle transforme la réponse au souvenir.
Sécurité : ce qu’en disent les instances
Les grandes institutions la décrivent comme sûre et à faible risque quand elle est conduite par un professionnel formé, dans un cadre clair. Et elles rappellent… tu ne perds pas le contrôle. Merci, NHS et Mayo Clinic, pour la pédagogie simple. nhs.uk+1
Red flags et contre-indications relatives
Épisodes psychiatriques aigus non stabilisés, demandes sous contrainte, objectifs non écologiques (« fais que j’aime mon partenaire ») : on ne force pas. On évalue, on oriente si nécessaire, on collabore avec les médecins. Le contrôle, toujours.
Guide express : comment reconnaître un cadre qui respecte ton contrôle
Explications préalables : tu comprends ce qu’on va faire, tu valide.
Consentement continu : tu peux stopper, questionner, réorienter.
Objectifs écologiques : concrets, à toi, pas à quelqu’un d’autre.
Alliance : tu te sens en sécurité, écouté, acteur.
Outils à emporter : l’hypnose te rend autonome, pas dépendant.
Foire aux questions (FAQ) — Les inquiétudes les plus fréquentes
« Et si je ne me réveille pas ? »
Tu n’es pas endormi. Tu peux ouvrir les yeux quand tu veux. (Aucun organisme sérieux ne décrit un risque de « rester coincé ».) nhs.uk+1
« Et si je révèle des choses malgré moi ? »
Tu gardes la parole et le filtre. Tu ne dis que ce que tu choisis de dire. L’hypnose augmente l’attention, elle ne désactive pas ta morale. PubMed
« L’hypnose, c’est dangereux pour le cerveau ? »
Les synthèses cliniques la classent à faible risque quand elle est pratiquée correctement. Les hôpitaux l’emploient pour la douleur et l’anxiété, parfois en anesthésie. Pas vraiment le profil d’une pratique dangereuse. PMC+1
« Est-ce que ça marche à tous les coups ? »
Non — comme toute approche thérapeutique. La douleur et l’anxiété ont un bon niveau d’évidence ; pour le tabac, les recensions restent prudentes : l’hypnose aide, surtout intégrée à une stratégie globale. PubMed+2PubMed+2
« Je vais faire la poule ? »
Seulement si tu le veux… et sur scène. En thérapie, on ne te ridiculise pas, on te respecte.
Petit détour par le cerveau : pourquoi ça redonne du contrôle ?
L’hypnose reconfigure temporairement le jeu entre réseaux attentionnels et émotionnels. En orientant l’attention, tu découples des associations (stimulus ➜ panique ; stress ➜ cigarette ; douleur ➜ détresse), et tu en installes d’autres (stimulus ➜ respiration ; stress ➜ posture ; douleur ➜ modulation). En clair : on réapprend au cerveau à choisir sa réponse. C’est ça, reprendre les rênes.
Tenir les rênes, c’est apprendre à diriger ses chevaux intérieurs
L’hypnose thérapeutique n’est pas un enlèvement, c’est une école de conduite. On apprend à tenir ses chevaux : la peur qui s’emballe, l’envie qui cabre, la douleur qui tire à gauche. Les grandes institutions le rappellent : on n’y perd pas le contrôle, on le retrouve, sur des terrains où la volonté brute échoue souvent —
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